Elections en Iran

Publié le par COLLECTIF ANTILIBÉRAL du PAYS de PORT-LOUIS

Entretien avec Shirin Ebadi

« Le respect des droits est la voie pour changer l’Iran ». La juriste iranienne, prix nobel de la paix, demande l’annulation de l’élection présidentielle et évoque les risques de graves violences.
Dans l’Humanité de ce lundi notre décryptage sur la situation en Iran.


La prix Nobel de la paix iranienne, Shirin Ebadi, qui souligne combien la population demande le respect de la loi et de ses droits et devient de plus en plus consciente de l’importance de la défense des droits de l’homme pour la démocratie, répond aux questions de l’Humanité.

Madame Ebadi, que se passe-t-il aujourd’hui réellement en Iran ?

Shirine Ebadi. Le pays vient d’avoir une élection présidentielle. Or, les résultats et la victoire du président sortant sont contestés par le peuple. L’annonce précipitée de ces résultats et de la victoire d’Ahmadinejad, immédiatement félicité par le guide suprême, l’ayatollah Khamenei - avant même une confirmation officielle du verdict du scrutin -, a fortement mécontenté les électeurs et la population iranienne. Ceux-ci montrent clairement leur désapprobation en manifestant dans le calme et la dignité.

Ne croyez-vous pas que des manifestations de cette ampleur vont plus loin qu’une simple demande de révision de l’élection présidentielle ? L’intervention directe du peuple iranien dans la politique du pays change-t-elle la donne en Iran ? Est-ce que cela modifie les paramètres de ce qui semble bien être aussi une grande fracture au sein du pouvoir ?

Shirine Ebadi. Pour le moment, le peuple iranien déclare ne demander que l’annulation de l’élection présidentielle contestée et l’organisation de nouvelles élections. Beaucoup dépendra de la manière dont le pouvoir répondra aux demandes légitimes des gens. On verra ce qui sortira de la réunion du Conseil des gardiens qui doit entendre les candidats réformateurs, Mir Hossein Moussavi et Karoubi, et leurs doléances ce week-end (notre entretien a eu lieu vendredi ; samedi, le Conseil, boycotté par les deux candidats contestataires, a opté pour un recomptage très partiel et aléatoire de 10 % des voix. Ce qui visiblement ne peut satisfaire l’opposition - NDLR). Les gens ne s’intéressent pas à d’éventuels différends au sein du pouvoir. Ce n’est pas leur problème. À mon sens, il faudra annuler la dernière élection et en organiser une nouvelle.
Quant à l’impact à plus long terme de ces événements, particulièrement sur les terrains du respect des lois et des droits de l’homme, l’avenir nous le dira. C’est encore un peu tôt pour en juger.

Craignez-vous particulièrement désormais la montée de la violence de la part du pouvoir à l’encontre des manifestants ? Et plus encore après le prêche, prononcé vendredi, par le guide suprême qui a une nouvelle fois endossé les résultats de l’élection, et qui a « mis en garde les opposants », demandant instamment « l’arrêt de la contestation » ?

Shirine Ebadi. Malheureusement, la violence sanglante a déjà été employée contre des manifestants dignes et pacifiques. À Téhéran et dans d’autres grandes villes iraniennes. À Téhéran, à la fin de la grande marche de l’opposition lundi dernier (plus d’un million de personnes dans les rues de Téhéran), sept personnes ont été tuées et près de trente blessées, d’après les informations dont nous disposons, par des tirs en provenance d’un immeuble public de la milice des Bassij, une milice qui agit sous la direction et la supervision des gardiens de la Révolution (la garde prétorienne du régime - NDLR).

Au-delà des manifestants dans la rue, des étudiants et des opposants ont été arrêtés ces jours derniers en Iran. Quel est votre sentiment ? Le cas échéant, allez-vous les défendre ?

Shirine Ebadi. Ces arrestations sont totalement illégales. Elles contreviennent aux lois et aux droits de la République islamique elle-même. Le cas échéant, je serai fière de pouvoir défendre les personnes arrêtées et emprisonnées durant ces événements.

Croyez-vous que les droits de l’homme peuvent changer la situation politique en Iran ? Comment améliorer le respect de ces droits dans le pays ?

Shirine Ebadi. Je crois que le respect des droits de l’homme est la voie pour fondamentalement changer l’Iran et sauver le pays. Mais il faut d’abord que les gens ressentent et comprennent l’importance de ces droits de l’homme et qu’ils réagissent s’ils ne sont pas respectés. Cela fait huit ans que nous luttons contre la censure, pour l’égalité des droits pour les femmes et pour défendre les prisonniers politiques et d’opinion. Désormais, il me semble que cette conscience est bien présente dans la population iranienne. Et même si l’année dernière le Centre pour les défenseurs des droits de l’homme a été illégalement fermé par le gouvernement sortant, les gens, et particulièrement les femmes, font aujourd’hui preuve d’une combativité certaine dans l’engagement pour la défense de leurs droits fondamentaux.

Entretien réalisé par Ramine Abadie


Publié dans Monde : actualités

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