Le 11 septembre chilien

Publié le par COLLECTIF ANTILIBÉRAL du PAYS de PORT-LOUIS


Pour nous, l'anniversaire du 11 septembre américain ne « rature » pas celui du 11 septembre chilien.

Terreur sur Santiago. La barbarie qui frappe la capitale chilienne le 11 septembre 1973 est régulière. Comme l'armée chilienne qui la commet. Comme la gerbe de sang qui gicle sur les murs, inaugurant le grand fleuve rouge des vies assassinées par une dictature militaire qui durera dix-sept ans. Une violence régulière, en quelque sorte, comme la main mise des Etats-Unis sur cette région, devenue leur chasse gardée dans la guerre des deux mondes qui les oppose à l'Union soviétique de 1945 à 1989. Ce 11 septembre-là, « l'axe du mal » qui passe alors par Moscou, La Havane et Pékin, doit perdre une bataille. Ravaler sa morgue ricaneuse devant la déroute honteuse des Américains au Vietnam. Un symbole doit tomber. Une vie doit payer. Salvador Allende sera l'agneau immolé : premier président socialiste du Chili élu démocratiquement, il incarne pour toute l'Amérique latine, l'esprit d'indépendance dont elle est assoiffée. Après des semaines de grèves et de complots ourdis par des patrons et des généraux soudoyés par des lobbies capitalistes et la CIA, le fruit est maintenant mûr... prêt à tomber. Ce 11 septembre, tandis que son palais croule sous les bombes de l'aviation et que les séditieux sont à la porte de son bureau, Allende se donne la mort. Après s'être adressé une dernière fois à ses compatriotes sur les ondes : « J'ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain [...], il y aura une sanction morale qui châtiera la félonie, la lâcheté et la trahison »(1).
Pauvre président supplicié ! La sanction morale se fait toujours attendre. Non seulement, Pinochet, son assassin par procuration, « court » toujours - façon de parler de la liberté dont il continue d'user et d'abuser malgré tous les crimes commis sous son joug. Mais la question de l'impunité n'a pas été réglée au Chili. Sont en jeu trois mille cas de disparitions et de meurtres politiques recensés sous la dictature. Ces crimes « parfaits » dérangent beaucoup à vrai dire : le président Lagos, socialiste certes, mais peu porté à heurter l'armée très présente et les électeurs des classes moyennes ; la droite, naturellement inquiète de voir remuer la lie d'un passé compromettant pour elle ; l'opinion publique chilienne enfin, majoritairement amnésique selon les sondages, surtout les jeunes obnubilés par leur avenir.
Pourtant, nombreux sont ceux qui au Chili et dans le monde continuent d'avoir « mal au Chili »(2). D'abord les familles des victimes et la diaspora des exilés dont la souffrance intime et lancinante n'a pas été reconnue ni réparée. Ensuite, tous les démocrates qui se sont dressés courageusement le jour du coup d'Etat, parfois en risquant leur vie : ceux-là restent blessés par les lâchetés, les silences, voire les complicités institutionnelles dont ils furent les témoins scandalisés. Beaucoup de chrétiens demeurent ainsi meurtris, révoltés par l'attitude bienveillante du Vatican a l'égard de Pinochet. Elle semble, contrairement à l'Evangile, privilégier le point de vue du tortionnaire sur celui de la victime. Des explications s'imposent. Mais ce sont surtout les Etats-Unis qui portent l'écharde chilienne dans leur conscience. Colin Powell a regretté le rôle de son pays dans ce drame. Mais l'Administration Bush en a-t-elle tiré des leçons pour autant ? Pour nous, l'anniversaire du 11 septembre américain ne « rature » pas celui du 11 septembre chilien.

(1) Dial (Diffusion information sur l'Amérique latine) publie un numéro spécial reproduisant le dernier discours prononcé par le président chilien le jour de sa mort, suivi de plusieurs articles sur la situation actuelle de l'impunité en Amérique latine. Contact : 38 rue du Doyenné, 69005 Lyon. Tél. : 04 72 77 00 26 ; contact.
(2) Roland Husson, "Nous avons mal au Chili", éd. Syllepse, 125 p., 8 €.

Par Michel Cool (Témoignage Chrétien)

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