19/7/08 : Grand bluff et grande bleue
DOMMAGE, que Kadhafi ait boudé le grand raout de l’Union pour la Méditerranée organisé par Sarkozy à Paris. Il aurait été en bonne compagnie : plein d’amis des droits de l’homme, à ce sommet ! C’est, on s’en souvient, parce qu’il avait libéré les infirmières bulgares et, dixit Sarkozy, « définitivement renoncé au terrorisme », que le guide libyen avait pu passé une semaine triomphale à Paris, en décembre dernier. C’est parce qu’il faut « parler du monde » pour concocter cette nouvelle Union que le dictateur Bachar el Assad a été reçu en grande pompe à l’Elysée, ainsi que d’autres grands démocrates, le tunisien Ben Ali, l’égyptien Moubarak, l’algérien Bouteblika. Et c’est parce qu’il adore en faire toujours trop que Sarkozy a invité, en prime, Assad assister au défilé de nos joyeuses troupes et des Casques bleus, le 14-Juillet, ce jour où l’on est censé célébrer la prise de la Bastille, la conquête de la liberté, le d ébut du renversement du tyran de l’époque (mais surtout pas l’attentat du Drakkar à Beyrouth en 1984, où 58 « soldats de la paix » avaient trouvé la mort).
Il a dû bien se marrer, Assad. D’ailleurs, l’ambiance était nettement à la poilade : c’est l’acteur comique Kad Merad, l’un des héros de « Bienvenue chez les Ch’tis » que Sarkozy a fait lire un passage de la Déclaration des droits de l’homme, juste après le défilé. Tu connos cha, biloute, chez dros de l’homme ?
Oui , Assad connaissait : la veille, reçu en long et en large au journal du soir de France 2, il a expliqué qu’en la matière il ne fallait pas trop lui en demander car il avançait petit pas par petit pas : son pays est très compliqué, surtout pas d’excès de vitesse, pas de geste impulsif, il faut tout calculer. Sans doute est-ce pour cette raison qu’une semaine avant de venir à Paris il a fait réprimer dans le sang, 28 morts, une mutinerie dans la prison de Sednaya : imaginez le traumatisme des syriens si la répression avait été moins féroce… Ils sont habitués à l’usage quotidien de la torture (trente-huit méthodes répertoriées !) ; aux camps d’internement pour prisonniers politiques et radicaux islamistes, aux persécutions à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme. il ne faut pas les bousculer… De toute façon, c’est ça ou le chaos islamiste, hein, biloute !
Sarkozy, l’homme qui a promis que « la France sera du côté des opprimés du monde », ne s’arrête pas à ces détails. Il était encore plus content de lui que d’habitude.
C’est question Com’, ces quelques journées sarkosistes, avec 43 chefs d’Etat à Paris et sainte Ingrid en prime, furent une parfaite réussite. Avec l’UMP, la France n’& t’elle pas repris la main ? Ne revient-elle pas au centre du jeu diplomatique ? Certes, comme s’est plu à le rappeler Assad, ce sera la prochaine administration américaine qui donnera le la, et, en attendant, calme plat en Méditerranée. Surtout que… Au soleil, la toute neuve Union pour la Méditerranée est certes clinquante, mais elle n’a pas un sou vaillant en caisse. Qui va la financer ? Si elle a déjà produit en chaîne de ronflantes déclarations sur la paix entre les peuples et l’amitié éternelle entre les ennemis jurés d’aujourd’hui et à venir, on ne trouve dans ses tuyaux qu’une maigre poignée de projets concrets : dépolluer la Méditerranée (mais il faudrait commencer pae arrêter de la polluer), créer quelques liaisons maritimes (rebaptisées pompeusement « autoroutes de la mer »), échanger quelques étudiants, et deux-trois bricoles en plus.
Bel effort, mais tout cela sent le bricolage hâtif, l’esbroufe habituelle : au fond, du travail d’ « amateurs ».
Le Canard Enchaîné