29/7/08 : Feuilleton de l’argent

Publié le par COLLECTIF ANTILIBÉRAL du PAYS de PORT-LOUIS

Vandale chez les Wende

Le Fric-Frac, c’est chic (1/5) Un jour, Ernest-Antoine Seillière s’est confessé : « Ce que je préfère, c’est giberner avec une bouteille de bordeaux entre amis, laisser librement galoper la pensée. » Sous la pression d’une cousine qui lui reproche d’avoir empoché 79 millions d’euros au détriment des actionnaires familiaux du groupe Wendel, le baron pourrait bientôt renouer avec son sport favori.

Un jour, Ernest-Antoine Seillière a confessé un fort étrange loisir : « Ce que je préfère, c’est giberner avec une bouteille de bordeaux entre amis, laisser librement galoper la pensée. » Sous la pression d’une lointaine cousine qui lui reproche d’avoir empoché 79 millions d’euros au détriment des actionnaires familiaux du groupe Wendel, le baron, avec ses manières très Ancien Régime et son appétit de rapace de la finance du XXIe siècle, pourrait bientôt renouer avec son sport favori.

Les Leclerc de Hauteclocque, les La Panouse, les Montaigu, les Guéna, les La Rochefoucauld, les Mitry, les Panafieu, les Montalembert, les Broglie, les Polignac, les Rohan, les Noailles, les Wendel, les Gargan, les Curel… Tous les ans, quand le printemps s’apprête à s’éclipser, sous un arbre généalogique vieux de trois cents ans, mille fleurs s’épanouissent à l’orée du bois de Boulogne. En costume strict pour les messieurs, en robe de cocktail pour les dames, des centaines d’héritiers des maîtres des forges descendent des limousines et foulent la pelouse du pavillon Dauphine. Les 900 cousins actionnaires sont invités à l’assemblée générale de la Société lorraine de participations sidérurgiques (SLPS), la holding familiale qui contrôle le groupe financier Wendel. Et une fois les formalités expédiées, tout ce beau monde et la marmaille se retrouvent autour des petits fours, des macarons et du champagne. Avec en sus, chaque année, un cadeau lié à un investissement récent : un stylo, un châle, une écharpe, des outils de jardinage et même, une fois, la saga familiale rédigée par Jacques Marseille !

Touche pas au grisbi, madame

Plaisir de retrouver la famille, joie de toucher les dividendes : dans la dynastie capitaliste la plus célèbre de France, c’est la fête à date fixe. Enfin, d’habitude… Car, en 2008, l’assemblée générale a tourné au psychodrame. Sophie Boegner, une cousine de seconde zone, nommée presque par hasard administratrice de la SLPS, a pris son rôle un peu trop à coeur. Et voilà qu’elle vient chercher des poux dans la tête d’« Ernekid » lui-même, l’enfant chéri du clan Wendel, Ernest-Antoine Seillière de Laborde surnommé ainsi par sa nurse alsacienne… Début juin, l’effrontée dépose une plainte contre X pour « abus de bien social et recel » : en fait, elle reproche aux dirigeants du fonds d’investissements Wendel, au premier rang desquels on retrouve l’ex-patron des patrons français, de s’être partagé une partie du capital du groupe au détriment des actionnaires familiaux. De son côté, Ernest- Antoine Seillière réplique immédiatement en demandant des poursuites pour « dénonciation calomnieuse  » et « diffamation ». Le 11 juin, le jour de l’assemblée générale convoquée pour approuver les comptes, François de Wendel, administrateur de la holding SLPS, tire autorité de son prénom et de son nom – ce sont ceux de l’ancêtre commun – pour présenter, à l’occasion d’un incident de séance, une motion pour la révocation de Sophie Boegner. « Sa plainte est inadmissible, lit-il. Elle consiste, on le sait, avant même que la justice ne se prononce, à traîner un homme dans la boue et avec lui, sa famille, et le nom que je porte… » Le texte est approuvé par 82,2 % des voix. Soie maculée, flanelle froissée, cachemire en lambeaux : chez les Wendel, on a toujours lavé son linge sale en famille et, pour la majorité des descendants, il n’est pas question, noblesse oblige, de déroger aux traditions ancestrales. « Je lui ai dit que je réprouvais qu’elle porte ce débat sur la place publique, se désole dans la presse Josselin de Rohan, sénateur UMP et beau-frère de Sophie. Un autre beau-frère a fait comme moi, mais nous nous sommes heurtés à un mur. Cette fille a le sentiment qu’elle est chargée d’une mission, elle se prend pour Jeanne d’Arc ! »

Quand les millions d’euros pleuvent…

Après avoir demandé pendant des mois des explications au sein du conseil d’administration de la SLPS, Sophie Boegner titille maintenant les gazettes. Et livre tous les détails du montage financier et fiscal ultrasophistiqué d’un « plan d’intéressement » au terme duquel, le 29 mai 2007, une dizaine de cadres dirigeants du groupe Wendel ont raflé 4,5 % du capital du groupe, soit une valeur totale de 324 millions d’euros à l’époque : en gros, après avoir racheté pour des clopinettes Solfur, une obscure société-écran du groupe, les managers la revendent à Wendel au prix fort, avant de la liquider. Certes, les 900 actionnaires familiaux réunis dans la SLPS y gagnent indirectement, puisqu’en supprimant un « étage » dans les poupées gigognes du groupe, ils bénéficient d’un abattement sur l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Mais pendant ce temps, ce sont les vrais artistes qui festoient : Jean- Bernard Lafonta, premier président du directoire de Wendel désigné en dehors de la famille, reçoit une montagne d’actions pour une valeur de 83 millions d’euros ; Ernest-Antoine Seillière, président du conseil de surveillance, empoche 79 millions d’euros  ; et treize autres managers se répartissent le reste, de 36 millions à un million d’euros par tête de pipe.

… les noms d’oiseaux prennent leur envol

Dans le Figaro, le patriarche « Ernekid » s’étrangle devant l’étalage de sa juteuse opération : « L’idée de la moindre suspicion m’est odieuse. Ma seule mission depuis trente-deux ans : la réussite de Wendel au service de la famille. Et de l’ensemble des actionnaires. Quelle mouche l’a piquée ? Sophie Boegner est une héritière dont le patrimoine est au-dessus de la moyenne des 900 membres de la famille pour lesquels nous avons créé en moyenne 1,5 million d’euros de richesse sur la période 2002-2008. Il est manifeste qu’elle cherche à ternir ma qualité de chef de famille. Elle se répand dans les médias et fait de la démagogie familiale. » Mais alors que les meilleurs cabinets d’affaires, recrutés par les dirigeants de Wendel, fournissent des attestations de « parfaite légalité du dispositif » et que les conseillers en communication de RSCG se chargent de démolir la rebelle bannie pour le compte de Seillière, Sophie Boegner refuse de flancher. « J’estime qu’il y a eu une captation déloyale du capital de la société, confie-t-elle à l’Express. Wendel, qui existe depuis 1704, est un groupe fondé sur des principes d’éthique et de transparence, auxquels les actionnaires familiaux sont tous très attachés. Or le management y a dérogé, par le biais d’opérations dissimulées qui l’ont considérablement enrichi. Au-delà, je déplore une stratégie de prise de contrôle rampante sur le groupe, qu’il faut arrêter tant qu’il en est temps. » La rentrée sociale sera chaude… Au moins chez les Wendel & Co.

Thomas Lemahieu pour l’Humanité du Lundi 28 Juillet.

 

 

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